Fragment
autoportrait en bleu :
On
m’a dit que j’étais beau, fin, intelligent. On
m’a dit que j’avais de belles mains, de la distinction,
de la délicatesse. On m’a dit que je savais écouter,
que j’avais un corps désirable, que j’inspirais
la confidence. On m’a dit que j’étais tendre,
que j’étais doux. On m’a dit aimer ma tolérance
et mon humour, parfois. On m’a dit que je sortais du lot et
que j’étais différent. On a dit que j’étais
efféminé, suffisamment pour vraiment aimer les femmes.
On m’a dit que j’étais courageux, exigeant des
autres et de moi-même. On m’a dit que j’étais
subtil, sage parfois. On m’a dit qu’en m’écoutant
on pouvait parfois penser que j’étais beaucoup plus
vieux. On m’a dit qu’on trouvait aussi mon côté
éternel adolescent charmant. On m’a dit aimer mes yeux,
aimer mon ventre. On m’a dit que j’étais un bon
amant, quelquefois. On m’a dit que je pouvais beaucoup donner.
On m’a dit parfois que j’étais l’homme
de leur vie. On m’a dit que j’écrivais bien.
On m’a dit que j’étais émouvant. On m’a
dit que je pouvais toucher les gens. On m’a dit que j’étais
innocent, esthète, et qu’on aimait ma faculté
de ne pas me souiller. On m’a dit que j’étais
prévenant, attentif, idéal en bien des choses. On
m’a dit que j’étais stimulant, que je stimulais
les autres et les révélais au meilleur d’eux-mêmes.
On m’a dit demander et aimer mes conseils. On a dit aimer
ma bonne humeur. On a dit aimer mes générosités
d’humeur. On a dit aimer ma vitalité. On m’a
dit que j’étais un grand timide. On m'a dit que j'étais
sensible. On m’a dit que j’étais rassurant.
Fragment autoportrait en noir :
On
m’a dit que je faisais peur par trop d’exigence, que
j’intimidais par trop de mystère, on m’a dit
que je n’avais qu’un cœur de glace. On m’a
dit que j’étais un vampire, que je me nourrissais de
l’âme des autres. On m’a dit que j’avais
trop de fierté et d’ego. On m’a dit que je ne
faisais pas suffisamment de compromissions avec le réel.
On m’a dit que j’étais un doux rêveur.
On m’a dit que j’étais trop indépendant
et chat. On m’a dit que je ne me laissais pas facilement toucher
et me protégeais trop. On m’a dit que j’étais
névrotique à force d’esthétisme. On m’a
dit que j’étais un séducteur et un volage. On
m’a dit que j’étais parfois paresseux en amour,
que je ne me livrais pas assez. On m’a dit que je pêchais
par paresse ou rapidité, parfois, en amour. On m’a
dit que je parlais trop et coupais les phrases des autres. On m’a
dit que je n’écoutais pas assez ou pas assez bien.
On m’a dit que j’étais inaccessible. On m’a
dit que je n’étais pas suffisamment adulte comme un
adulte devrait être. On m'a dit que j'étais un gamin
qui ne voulait pas grandir. On m’a dit que j’avais trop
d’incertitudes. On m’a dit que j’étais
trop cérébral ou intellectuel. On m’a dit que
j’étais décalé. On m’a dit que
j’avais arrêté mes études trop tôt.
On m’a dit que mes écrits n’étaient que
des brouillons. On m’a dit que l’écriture m’écartait
de la vraie vie. On m’a dit que je n’étais pas
assez musclé. On m’a dit que je ne me souciais pas
suffisamment de ma santé. On m’a dit que je ne prenais
pas soin de moi et fumais trop. On m’a dit que j’étais
suicidaire. On m’a dit que j’étais égoïste.
On m’a dit que j’étais inquisiteur. On m’a
dit que j’étais inquiétant. On m'a dit que je
manquais singulièrement de confiance en moi. On m'a dit que
j'étais parfaitement névrosé. On m'a dit que
j'étais paranoïaque. On m'a dit que je ne faisais confiance
à personne.
Fragment autoportrait en nuances :
Je
me suis dit que j’étais incertain. Je me suis dit que
j’étais trop cérébral. Je me suis dit
que je n’écoutais pas suffisamment les signes adressés
par mon corps. Je me suis dit que j’étais timide au
point d’être lâche. Je me suis dit que j’étais
à 10 % de mes envies et espoirs en termes d’amant.
Je me suis dit que je n’étais pas assez musclé,
qu’il fallait que je fasse attention à mon ventre pour
qu'il ne devienne pas bide. Je me suis dit qu’il fallait éviter
de devenir aigri. Je me suis dit que j’étais paresseux.
Je me suis dit que j’étais orgueilleux. Je me suis
dit que je n’aimais pas mes pieds, ni mes jambes. Je me suis
dit que j’étais un éternel insatisfait. Je me
suis dit que j’avais des tendances au solipsisme ou encore
à la schizoïdie. Je me suis dit que je vivais trop dans
ma bulle. Je me suis dit que j'avais tendance à m'exclure
du monde, à me construire des bunkers, à trop me protéger.
Je me suis dit que j’étais trop morbide. Je me suis
dit que j’étais contagieux. Je me suis dit que j’étais
vraiment peu précoce. Je me suis dit que j’étais
idiot. Je me suis dit "à quoi bon" un nombre incalculable
de fois. Je me suis dit "pourquoi pas", de plus en plus.
Je me suis dit aimer la vie, être sensible au miracle. Je
me suis dit que j’étais homosexuel, hétérosexuel,
bisexuel. Je me suis dit adorer les femmes. Je me suis dit je suis
trop rêveur, trop virtuel, trop exigeant. Je me suis dit que
j’étais ennuyeux. Je me suis dit que je n’avais
pas assez de forces vitales en moi. Je me suis toujours dit que
je préférais être seul que mal assorti. Je me
suis dit espérons l’espoir fait vivre risquons la vie
est risque et la plénitude récompense. Je me suis
dit on naît seul on meurt seul le couple c’est être
seul à deux. Je me suis dit je souhaite rencontrer celle
que j’aimerai et qui m’aimera pour que le reste, mariage,
enfants, et tutti quanti, n’en soit qu’un naturel découlement.
Je me suis dit que j'étais incapable d'aimer. Je me suis
dit que je n’avais aucun humour. Je me suis dit que je n’aimais
pas perdre mes cheveux. Je me suis dit que j'étais trop indépendant
et sauvage. Je me suis dit que je ne recevais pas assez, que je
ne savais pas vraiment recevoir. Je me suis dit que je me chargeais
trop. Je me suis dit que je n’avais pas assez confiance en
moi. Je me suis dit que j’étais trop silencieux et
trop bavard. Je me suis dit que j’étais égoïste,
égocentrique. Je me suis dit que j’étais généreux.
Je me suis dit que j'étais un lâche, que j'étais
gouverné par la peur. Je me suis dit Arrête-toi
Théo de te dire…
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