L'écume à
la bouche [tiré de La
Tentation du Silence]
Sans
titres
…Il est si dommage
Qu'en de tels parages
La seule manière d'y accéder
Soit d'abord de l'outrager…
Le seul poème est celui du silence
Tout mot est vain sinon grossier
Pas même le rythme pour compenser
Blanche immobile règne l'innocence
De même la blanche voix l'écriture blanche
En son poème strie de lumière l'opacité du
réel
Impassible devant les soupirs que son passage déclenche
Elle griffe la nuit se consacre au virtuel
Elle dessine des constellations arborescentes
Tant qu'à chaque fois elle frise la naissance
Parcourt en d'interminables méandres
Le flux des paroles contourne réduit en cendres
Halos et rayons peu à peu se froissant
Au bord du vertige elle guette l'ombre
Écriture blanche de l'oubli chancèle et sombre
Dans ton ultime éblouissement virginité de sang !
Prière au monde
Des lisières explorer l'écume
De la femme effleurer l'échine
Des cimes sonder l'abîme
De la vague remonter la crête
D'un sein suivre le sillon
De l'épine dorsale toucher l'arrête
De la langue sentir le contour
D'un nombril humecter le creux
D'un cil reconnaître le battement
De la gorge happer la pomme
De l'épaule palper le creux
D'un ventre explorer la chair
Chaloupée la danse commence
Aux frontières d'une conscience
A la lancinante ondulation
Des hanches
De la vie supporter le mystère
Des énergies trouver la force
De l'ombre affronter l'humeur
De la douleur se réjouir
D'un moindre mal le réconfort
De l'oubli trouver la jouissance
Sur la nuque apposer ses lèvres
De deux yeux rabaisser les paupières
D'une fatigue conserver la langueur
De l'amour provoquer la décence
D'un geste éveiller le désir
De la chair apprendre le relief
A la symétrie bancale, cambrée
Quand le désir se trouble dans l'ombre
Tout autant qu'il s'y trouve
Et plonge
Des années raser le fil
De l'ennui tourner la page
D'une naissance arrimer les racines
D'une croyance montrer le gouffre
De l'espoir décliner les couleurs
Des anges arracher les plumes
De la mélodie extirper le spectre
D'un désespoir affirmer la lumière
D'un Dieu souscrire au spirituel
Des hommes étouffer la plainte
Du cœur éprouver le mouvement
De l'âme amener le frémissement
La rumeur en guise de monarque
Le poète artisan et filtre
L'essence obscure sans cesse recouverte
Le sens partagé puis oublié
Du doute achever de se détourner
Du rire perdurer le sourire
Des lumières tamiser l'éclairage
D'un ange fixer le visage
Des océans porter la vague
De la mer filtrer le vert
De l'azur rompre l'équilibre
Des ténèbres vaincre l'asphyxie
Du vent soutirer la fraîcheur
Des saisons éprouver les constances
De la gangrène arracher le venin
Du serpent tordre le cou
Enrouler ses anneaux autour de son ventre
Sentir la griffure des écailles sur la peau
La subtile torsion au si proche venin
La lascive pression caresse près des reins
De la faiblesse écraser la vermine
De la contagion fuir la gangrène
Des yeux bandés hurler l'évidence
D'une relation refuser le compromis
De la solitude assumer l'errance
Des contacts conserver le secret
Du salut éprouver l'absurde
De la sagesse raser la barbe
Des savoirs conserver l'instinct
Du mammifère tondre le pelage
De la femme arracher la parure
De la nudité couvrir d'un voile
La surface pour plus de désir
Élémentaire continuation
Pour qui veut le plaisir trouver
Et la chute petite chute circonscrire
Des lointains retrouver l'horizon
Des amis attendre les preuves
Des faiblesses surprendre l'impasse
D'une mélodie détendre le ressort
Des frères prendre la main
Des enfants guider le chemin
D'un paroxysme savourer la jouissance
Des navires hisser la grand-voile
Des esquifs retirer l'ancre
Du port fuir la marée basse
Du cœur anéantir l'humeur lasse
D'une guerre avouer la vanité
Le front végétal aux lauriers
Le crâne rasé d'un vaincu
La nuque minérale des morts
L'appel assourdi des blessés
D'un absolu crier le naufrage
De l'idéal à craindre nul sauvetage
Du bruit découvrir le silence
Du geste reconnaître la danse
Des plaies déceler le stigmate
Du soupçon condamner le vice
Des jougs affranchir le geste
De l'habitude secouer la mollesse
Des repères dévider l'écheveau
De l'espoir prolonger le doute
D'une désespérance faire son tremplin
Des certitudes refuser le sceptre
Berceau d'illusions
Survient la chute
Erreurs et déceptions
La croyance est aveugle
Au pouvoir préférer l'anonyme
Des murmures entendre le période
Des cycles découvrir la clé
Des figures dessiner la spirale
Du cercle s'affranchir sans détours
De la ligne prolonger la courbe
De l'aurore affirmer le crépuscule
Le front pâle au diadème
Des aubes reconnaître l'innocence
De l'amour garder les prémisses
Du désir posséder l'élan
De la candeur conserver l'immédiat
Et le contact et l'impact et la saveur
Dans l'ombre d'une amère douleur
Que rien ne laissait figurer
Que rien ne pourra dissoudre
D'un état d'atmosphère gagner la surface
Du bitume entretenir le réverbère
Du Styx apprivoiser le cerbère
Des âmes mortes défendre la mémoire
Des femmes éviter la confidence
Des gisants retenir l'épaule
Des soupirs écouter l'écho
Du droit refuser le devoir
Des cellules libérer les âmes
Des souvenirs proclamer l'ennui
De l'avenir affirmer l'errance
De présent perdre la croyance
La renaissance dans
Les parages de l'entre-deux
Le sang qui coule séchant
Quelques larmes
Des nuages invoquer la pluie
De la brume respirer le parfum
Des vivants chercher l'emblème
De la beauté créer l'étendard
De la pureté frotter le fard
Du temps perdre l'espace
Des identités retenir l'illusion
De la dispersion manger le pain
D'une fragmentation établir le miroir
De la vague briser la paroi
D'une chute remonter vers l'azur
D'une prière repérer le murmure
Et danser sur les cordes vocales
De l'incantation au rictus
De transe — le point focal, aleph
Clef de royaume des chimères
Des hommes brûler la langue
Des braises raviver les flammes
Du feu chauffer le ventre
Du brasier tracer le cercle
D'un incendie étendre la contagion
Des yeux voir la lueur
D'une atmosphère la fureur
De l'humeur brandir l'éclair
D'une foudre filtrer le suintement
Des rayons chercher le centre
De l'horizon guetter l'altitude
D'un instant savourer la plénitude
Et pâle l'azur jaillit
Et claire l'aurore surgit
Blême la clarté d'un ciel humide
Au préambule d'âmes sereines
Du réel revenir au virtuel
A la croyance substituer l'espoir
Des noms préciser le verbe
Des mots chanter le rythme
De l'essence retrouver le contact
Du sable chercher les empreintes
Du cheval pousser le galop
Des vagues inciter la furie
D'un soleil sombrer dans la mer
Du souffle atteindre l'épuisement
De l'effort friser l'essoufflement
De la page aboutir au blanc
Initial ultime anodin futile
Le blancheur d'un gris strié
De coulées noires et pesantes
Éclaboussures perforant la feuille
Sur la page passer la main
Du relief refermer les paupières
Du sang trouver les veines
Du bois toucher les nœuds
Du soupir murmurer la plainte
D'une tristesse nier l'origine
De poison abreuver les racines
D'un suaire détruire le souvenir
Des lauriers reconnaître l'épine
Du monde susciter la colère
Des coutumes provoquer le déclin
Des références affirmer la fin
Un deux trois tournoie
Le dé sur la table rasée
Se fiche dans la terre
Retourne cendre au parfum de poussière
Du quotidien chercher l'échappatoire
Jour après jour en quête d'exutoire
Du cœur étirer la rage
D'une conscience fuir l'épanouissement
D'une lucidité attendre l'évanouissement
De l'amour souffler l'illusion
Pour ne garder que la fugue
Au jeu consentir sans ambages
Des cieux déçus rayer l'outrage
De la souffrance contourner les ravages
D'une compagne entretenir le charme
De la femme souscrire à l'instinct
Quand seule une épaule
Deux fronts reposant l'un sur l'autre
Un interminable et léger baiser
Peuvent encore tenter d'oublier
A la source du désir la suggestion
De la laideur détourner les yeux
Sur ses victimes verser une larme
Contre soi retourner l'arme
De la pensée préférer l'application
De l'existence faire surgir la vie
De la tristesse goûter la beauté
Des innocents protéger l'instinct
Du chant déclamer la mélodie
De l'épopée éviter le périple
Du psaume murmurer la prière
Du psaume murmurer la prière
Du psaume murmurer la prière.
Parade
Que l'on s'attache au sens
Et le rythme la mélodie s'évanouissent
Que l'on s'agrippe au sens
Et la langue castrée devient stérile
Que l'on entende, soit, mais que l'on n'écoute pas
Qu'on regarde contemple mais qu'on ne voit plus
N'entendez plus les mots, écoutez les voix
Celui qui voit déjà ne regardera jamais plus…
Qui parle en dit plus que l'autre
Qui croit dire et ne parle qu'à lui-même
A l'aube de ce carême
Du silence devenez l'apôtre !
Celui qui voit ne regarde jamais plus
Aveuglé ébloui extatique
Au fond des sens réside l'essence
Et peut-être en son sein peut-être le sens.
Virginités
Adolescents désirs rêveurs
Sauvage envie teintée d'azur
Passion d'un horizon fugueur
Aux yeux d'or au regard bleu pur
Enfants qui crurent en l'âme sœur
Chantèrent l'amour suprême erreur
Icares orphelins qui chutèrent
D'un idéal ne surent s'extraire
Au crépuscule de l'ivresse déchantèrent…
Ils cherchaient âmes souillées
Ames bafouées
A retrouver l'originelle innocence
Du sourire et du rire l'insouciance
Perdue l'enfance ! Jusqu'à ce que mort s'ensuive…
Oh adolescents sans lendemains
Sans cesse vous lavez-vous les mains
Jusqu'au sang
Le front couvert de cendres
Inutile expiation
Pleurez enfants !
Vos larmes à la banale histoire
Portent l'anodine mémoire
D'un cœur naissant !
Parier la vie
Oppression du cœur
Le souffle se fait âpre
Pourquoi mais pourquoi
Sitôt qu'on pressent l'émotion
C'est la mort — petite humble mort —
Qui nous happe à la gorge ?
Sans doute l'un ne va pas sans l'autre
Et qu'à moins de tomber sur la tranche
Il faut de l'endroit éprouver le revers
Vivre par contrastes, à force de tours de hanches
Au bout s'élèvera bien un nombre impair
Vaines ondulations : à qui la faute ?
Le miroir
Familière rencontre je m'en vais te dire
Qu'à travers tes approches je peux saisir
De ton désir l'inflexion facile
Ondule sur ta hanche t'accompagne du cil
Prends mes lèvres pour les tiennes lubriques caresses
De la langue humide de ton charme
Tes bras t'accueillent — ardents — et tu te pâmes
Je te tends fidèle amant la tendresse
Attends de l'ultime fraîcheur l'hommage
De la buée sur tes paupières qui se plissent
Et glisse sur ma peau si roide si lisse
Hanches lascives mêlées doux parages
Suis-je miroir ou calice en cet instant
Aux mouvements furtifs vers notre délice
Tendre enfant goûtant le vice tu te tords
Avec impudeur élastique enfant !
Te détends tragique aux lèvres entrouvertes
Détournes les yeux sourire figé
Indifférente à ma surface offerte
Tu dors impénitente le cœur léger !
Je me console par le souvenir
Pressentant la force de ton désir
Adolescente tu reviendras me voir
Pour le plaisir éprouver demain soir…
Penchée
Sitôt que la matière aura trouvé sa croix
Son urne épitaphe au détour d'un tas de cendres
Sitôt que l'asphalte ne résonnera plus de ce pas
Une larme tombera peut-être suivie d'une autre
La gorge serrée se comprimera sur un sanglot
Les souvenirs se dévideront
Tel le couteau qui lacère la peau
Une souffrance macère au fond de la mémoire
Absente de la matière présence infinie de l'âme
Sœur qui se souvient morte et pourtant là
Bras collés le long du corps regard vers la terre
Une ombre titube le long d'un quai
Contemple le liquide brun hésite et vacille.
Le poète
I
Mystérieuses influences
Aux confluences énigmatiques
Célébration alchimique
Oui, toute une enfance…
Algébriques combinaisons
Nuancées selon l'humeur
Du temps l'indolente déclinaison
Du vide conjurer la peur
Contrer la pyramide du savoir
Sphères illusoires des connaissances
Témoigner d'une seconde naissance
Prendre sur sa vie l'exclusif pouvoir
Fil d'azur du poème sur
fond d'ivoire
Fil d'équilibriste qui engendre
Pour le poète le fil du rasoir
Du fil du temps assumer les méandres
II
Et voici pour les dieux, les majeures influences
Complices poètes et poèmes en mon âme
Toile de fond — ombres de mon parcours
En clair-obscur
Je garde de Nerval le Prince centrifuge
L'envoûtement des Chimères et la corde qui balance
De Baudelaire la cadence suprême
Musicale langueur à l'ombre d'un pal — extrêmes
De Rimbaud j'espère la vie et son ivresse
Contagieuse contagion du poème à la vie
Je prends de l'autre en amont la rage, l'ardeur
Le Maldoror des gouffres la bave la haine
D'Antonin Artaud j'arrache le cœur et son spasme
La solitude sur fond d'absurde son cri au sens
…De Laforgue quelques ironies
De Roubaud le parfum d'une tristesse
Et la blancheur des larmes
De Ponge les détours ludiques
…de Stéphane Mallarmé le goût du bijou
Quoique sa perle soit bien pâle immobile
D'Apollinaire l'ombre chinoise silhouette…
De Michaux le gouffre soyeux…
Je me retrouve, Pessoa ! dans ton asphyxie par le sens
Cependant je préfère cent fois l'incandescence
De ton maître à sentir — Sa-Carneiro —
paix à ses cendres
Ombre d'opium, stupéfiants, filtres ambigus de l'amour
Et la strychnine, et le cyanure…
Il y eut d'autres silhouettes comme d'autres ombres
Aux minces recueils auteurs d'un vers
Esquisses ponctuelles contacts fugitifs
Furtifs impacts… feu follets
Il y eut aussi en amont le flux
Le creuset d'énergie
Les inspirateurs mais surtout les inspiratrices
Toutes radieuses vestales de la Beauté !
III
Autre compagnie non moins négligeable :
A tous ceux qui un jour
Éprouvèrent l'émotion distincte
Prirent la plume effleurés par la grâce
Poètes d'un jour et d'un vers
Qui s'oublièrent et oublièrent
Anonymes sur la pointe des pieds
Ne laissant d'autre trace
Que ces pépites gisantes au fond d'un tiroir
Ou sous une faveur rose souvenirs d'espoirs !
…poètes éclairés tamisés de tristesse
Qui expirèrent sous la paresse…
…poètes poussés d'un doigt par l'ennui
Qui s'achevèrent par l'oubli…
…poètes révélés ardents par l'amour
Qui succombèrent d'une simple rupture…
Tandis qu'en aval dans les flots d'une lecture étale
Qui n'a jamais frissonné sensible touché par l'écho
A découvrir et parcourir et savourer une poignée de
vers
A frémir soudain et se dire : "je l'éprouve c'est
clair !"
Quant à moi veilleur tenace
témoin voyeur
Jouant parmi les ombres jonglant par les sens
Aux rivages de la suggestion
J'ose dédier ce témoignage
Par l'amertume qui m'entoure
Par l'immense dérive au délire d'errance
Par la danse et ses ondulations
Vers le transe extatique corrosive passion !
IV
Le spirale tournoie au fond de l'esprit
Météores inscrits au creux de l'histoire
Gardez à jamais du poète la mémoire
De même que ces vers vous hantent ou vous bercent
Que sa tombe soit par vous enfouie sous les fleurs !
A leurs sources ma plume s'étanche
S'attache en hommage à ce qu'ils reviennent
Perpétuer le souvenir de leur errance
Et que ce nom Miloslave alors vienne
De la spirale amorcer un nouveau tour
— ou détour — d'ivoire : embué miroir…
Le poète n'a d'autre dieu que sa plume
Le reste n'est qu'infime réminiscence
Il s'acharne à chercher le secret des essences
Et sa muse est la vierge et silencieuse lune.
Reconnaissance
Salut à toi incandescent semblable
Autre moi-même compagnon d'étincelles
Traverse en ma compagnie la nuit
Perforons-la par la danse d'étoiles !
Filantes murmure la plaine
Vaines susurre la terre
Reflets rajoute l'onde
Caprices conclut la brise
Joignons nos mains
Que du frôlement des chairs naisse le feu
Et braises deviendront nos yeux
Aujourd'hui même essence de demain !
Chant du cygne
Cygne de l'adolescence
Tournoie la langue indigne
Indigne du silence
A l'amour je dédie mon désir
Oriflamme ardente de ma dérive
Seule incidence au plaisir
Entremêlé d'oubli
Danse la chair
Contre le fer de l'absence.
Le sage
Ô vous, qui à travers le voyage
Cherchez du sage le témoignage
Ces vieux barbus, assis sous une tonnelle
Le front buriné le visage ridé — éteintes
prunelles !
N'écoutez pas le sage n'écoutez pas le sage
L'expérience ne se partage pas
Vivre et revivre devons-nous sans cesse
L'expérience se doit d'être vécue
Personnellement
Et même là qu'en savez-vous
Êtes-vous donc si identique que jamais vous n'oublierez ?
Trois fois au moins vivrez-vous les mêmes choses
Sans rien apprendre qu'une reconnaissance
La reconnaissance de votre erreur
N'écoutez plus le sage n'écoutez plus le sage
Partez, et vous verrez
L'oubli sera votre aiguillon
Mais vous saurez, alors, ce que c'est que la vie !
Trop tard pourtant, trop tard
Vous apprendrez en contemplant
La vie ne se pense
Que rétrospectivement
Celui-ci sur un banc, assis
Dit se reposer sur le trône
D'augustes années — mais qu'est-il
Sinon une bougie éteinte
A la flamme noyée
A la cire absente
Piètre noblesse que ses cheveux blancs
Qu'on le laisse tranquille, tremblant
Sa seule sagesse et encore
Un silence édenté.
Salomé
carte postale
Femme qui danse
Lance ton sortilège
Lascive balance tes hanches
Devant ton père alangui
Simple instrument d'une vengeance
Teintée de jalousie
La fille d'Hérodiade
Séduirait un mort
Une tête coupée
Présentée sur un plat vermeil
C'était un saint !
Martyr désormais…
Le beau Jean-Baptiste
Succomba sous l'emprise de deux femmes
Et d'un roi digérant lubrique
Son dieu ne pouvait rien contre la danse
Sacrifiée fut la créature
A l'autel païen
Bienheureux le chrétien
Distinctes immortalités…
Dessert d'une volupté
Servie par la sœur d'Œdipe
Dérision fatale
D'un amour cannibale !
Amorce
Quand ma semblance lumineuse
Éclipse la grisaille j'émerge
Du sommeil je regarde
Le paysage lunaire rugueux
Une empreinte de lèvres au coin d'une crevasse
J'étire la constellation lasse
Du toit de cendres éparses
Surgit parfois une bulle crevée
Surface perforée par trois sons
Du fond musical une harpe
Trébuche au creux de la feuille
Tremblante et démesurée une ombre
Cligne de l'œil dans mon dos
Troublante cette impression d'abîme
Alors que je cède au plaisir narcissique.
Paravent
Débris de conscience implosée
Miettes de conversations anonymes
Fragmentée la matière élémentaire
Accomplit sa révolution
Mue par une cadence souterraine
La danse médiévale s'éternise
Jamais lassé l'enfant bat des mains
A ses lèvres un sourire insouciant
Un jour le pesanteur sera telle
Que les hommes chercheront au-delà
Au nombre et à ses infinis
Ils substitueront la plongée verticale
Au-delà du sens se trouve l'envoûtement
Lassé de la signification je guette
La magie. Il faut désapprendre de comprendre
Puisqu'infini le malentendu règne
Il faut enfin éprouver aussi paradoxal
Que ce poème puisse être.
La vie devant soi
Vive les adolescents dopés à l'espoir
Qui ne craignent pas les clichés
Et perpétuent allègrement les erreurs
De leurs ancêtres réactivés
Ils plongent dans l'azur des illusions
Aiment à la folie aiment pour la vie
Arborescente floraison de leurs cœurs
Aux désespoirs intenses aux vertiges enivrants
Adolescents qui dispensent librement
Une énergie sans limites et sans fonds
Qui gaspillent gâchent mais acquièrent
Leur univers chatoyant de souvenirs
Plus tard à la veillée pourront-ils dire
Avachis dans des fauteuils à bascule
A leurs petits-enfants insouciants
“Oui j'ai vécu !” — ah, litanie des survivants…
Adolescents jaillissant vierges de l'enfance
L'avenir vous est une bouche lumineuse
Offerte à la langue dardée prometteuse
Adolescents solaires comme vierges de passé
La vie est devant vous, en votre cœur brandi !
L'allumeuse
Au commencement régnait l'ennui…
De Chronos le seul — véritable — amant
Volage il profita d'une humeur jalouse
Partit un jour et puis revint
Au bras d'une sublime créature
Au nom d'Oubli !
De leur accouplement naquît sœur Émotion
Babillante enfant
De l'Éphémère la progéniture
Insouciante vassale !
En amont en aval l'émotion bicéphale
Rebondit se partage s'éteint ou renaît…
Tenace Phénix Sphinx au divin secret
D'absence alternative vestale
Perpétuel chant du cygne
De l'extase de la vie elle en frôle
Lascive la mort peu farouche
Membres fragiles de cette folle vierge si digne
Elle ne donne à son frère que la bouche !
De l'émotion allumeuse
Gardons les caresses gracieuses
Pour oublier du temps la souffrance
Et baiser la tendresse aux cornes de désespérance.
La contagion
Un jour viendra où quelque désœuvré
Découvrira au fil des pages un parfum singulier
D'un nom il pressentira quelque substance
Sur ses pupilles griffées une atmosphère
Saignante
Bleutée
Insidieux venin à la moisson patiente
Hantée par Miloslave sans cesse il reviendra
Pour une aube immobile le recueil claquant au vent
Fixer l'horizon les yeux ouverts étrangement dilatés
Victime hallucinée
De ma tentaculaire étreinte…
… Convulsif et lascif
Sur l'autel des humeurs
Écartelé par la contradiction
Extrême d'un feu follet qui se survit
Amer quant à moi des ravages de la contagion
Assis en tailleur sur le bord du rivage
Je scrute l'horizon de l'éternité
Compagne frigide aux yeux bordés d'hymen !
Psaume
La mort est jouissance
Sans doute aux yeux fermés
Lèvres entrouvertes
Béantes à un grand vide
Saluons de notre corps
L'issue certaine
Psaumes et réjouissance
Quand de la danse avec la terre
Nous respirerons l'âcre
Parfum de cendres et de poussière
Le sang affleurera parmi les herbes
Os enlacés aux racines indéchiffrables
Seul contact avec la terre celui du corps
Dans la triste vie la pesanteur
Au-delà oui au-delà
Dissolution
Frères célébrez donc votre mort
J'y porte mon verre et ce toast
Il ne restera plus qu'à se faire oublier
Tâche moins difficile qu'il n'y paraît
Si je vis ma fin avec conscience
Le dernier soupir sera pour un sourire
Ici réside toute science
La sagesse d'en finir
La mort est jouissance
Cent fois rêvée pas même désirée
Ultime réjouissance
Une bougie éteinte, quelques cendres
Les lendemains de fête n'importent que peu.
L'esthète
Insatiable de beauté
Je guette ses fragments d'éternité
La peau d'une femme l'ombre d'un sourire
L'élégance d'un geste la nonchalance
D'un regard
Quelque expression de tristesse
M'émeut puis m'attire
Encre noire de bonne compagnie
J'en savoure l'immobile fragrance
Âme blanche aux ailes tronquées
Du cœur les veines sont bouchées
Noir sang d'un idéal vacillant
Au sens perdu — mais qui parle encore de sens ?
Le contact ne vaut que par son frôlement
Effleurer la matière et non pas l'éventrer
Trop fragile la beauté pour admettre un amant
Le marbre glacial de quelque statue perdue
Dans un jardin désert
Beauté figée inaccessible
Lovée dans son hiver
Beauté d'argile aux fulgurantes émotions
— il s'agit de la même aux visages multiples
mais au corps identique à l'étreinte familière
—
Je guette de la beauté l'éternité
D'une sensation : sérénissime sérénité.
Les lunatiques
Amants lunaires
Toujours gardez sur vos lèvres
Ce goût crépusculaire
Des solitudes étales
Spleen anachronique
Pas même défrayant la chronique
Amants lunaires déboussolés
Amants lunaires éclaboussés
Indifférents à la vie
Complaisez-vous dans l'agonie
Éprouvez encore et toujours
La tristesse et sa caresse
Frisez le statisme d'une errance
La nostalgie d'une autre enfance
Pianotez sur les touches familières
De votre désespérance
Suivez des cycles la spirale
Qui doucereuse vous guide
Jusqu'à son horizon impavide
Son aurore de larmes
Veilleurs des temples désertés
Des dieux désincarnés
Des survivants d'eux-mêmes
Des morts doublement morts oubliés
Veilleurs
Amants lunaires
Toujours gardez sur vos lèvres
Ce goût crépusculaire
Des solitudes étales.
Le voyage
J'étais parti avec espoir
Pour apprendre et peut-être voir
L'encens des rêves qui éternels se consument
Et les douceurs de la Femme à la chair d'écume
J'étais parti incandescent
Satisfaire au rythme dansant
D'un insatiable désir
Appétit de jouissances sous le signe du loisir
Je vécus de multiples morts et renaissances
Dans l'étreinte glaciale des nuits étoilées
Je savourais maintes fois les parfums voilés
A l'ivresse ardente ourlée de déchéance
J'en vins à penser : A chaque jour son élan d'azur
Sa récolte d'étincelles et de pierres dures
Son aube d'or et l'amertume crépusculaire
Contrepoint nécessaire à cet itinéraire
En vérité, une bien éphémère
délivrance…
Mes humeurs s'évadèrent s'achevèrent
Basculèrent
Et confirmèrent la certitude d'une inquiétude
Qui m'annonçait l'irrémédiable dissolution
Au sein du néant de mes plus grandes passions !
Je m'en reviendrai l'œil éteint
Les lèvres amères et dans le poing
Fermé un lambeau d'âme froissé
Je m'en reviendrai indifférent
Vieilli de deux fois vingt-cinq ans
Les plus vives années de ma belle jeunesse
Auront été frappées d'une pesante tristesse
Je m'en reviendrai fatigué
Incapable encore d'endiguer
L'acide absence et la douleur
D'un lendemain certain vécu comme une erreur !
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