Entre
les feuilles [tiré
du recueil La Tentation du Silence]
I
La page attise et
pourtant attire l'énergie
L'œuvre naît d'un écoulement de sang
Quand les doigts bleus s'abandonnent au blanc
C'est la spirale folle qui chantonne.
•
Incertain de la
cime
J'escalade néanmoins
Ivre de l'impulsion
Incertain de l'émotion.
•
Abandon facile d'un
pliage
En quatre : feuille
À la dérive pour du blanc
Alimenter le naufrage.
•
Mon masque d'homme
ne tient qu'à un fil
Il ne tient qu'à moi de l'ôter
Pour du vide sonder le sourire
Au palais concave : plongée.
•
Que du crin s'hérisse
la crinière
D'un terrier éclairé je révèle la tanière
Le félin bondissant s'appellera panthère
De ses crocs ses griffes la gorge me lacère.
•
De l'abandon de
l'humeur exquis abandon
Je savoure sans peine la saveur troublante saveur
Esquive du fond les écueils
Cueille au temps ses pétales flétris.
•
Vases communicants
Au déclic subtil
Je donne de l'évidence la futile
Impression : silence.
•
Modulation d'une âme avide d'idéal
Variations infimes de la fréquence ornementale
Seul diapason d'un fouillis de détails
L'espoir d'un espoir bien dérisoire.
•
Ciel blafard sous
un coin de paupière
Murs blancs à la dérive accentuée
Sonde, mon esprit, ce filtre amer
Un désir que l'instinct n'a pas tué, encore.
•
Découvrir
et saisir
Du rien la défaite
Exténuation du silence
Qui tourne à vide immobile
Qu'un quelconque voyant
Vienne à le frôler
D'une caresse
Aussitôt sa plainte s'élève
Enchanteresse sirène
Nébuleuse.
•
Du poète
spasmodique
Naît le poème rhapsodique
La fuite en avant aux allures de dérive
La fugue immobile à la mélodie furtive.
•
De la parole l'amer
épilogue
— Enfant du silence —
Aux faiblesses du souvenir
La sagesse de ne rien dire
A l'absence d'un devenir
La sagesse de ne rien faire.
•
Plume, aile, griffe
Source d'encre et de joie et de terre.
II
Attente au fond d'une humeur
À guetter les signes algébriques
Du ricochet de mon désir.
•
Couple de vieux murmurant sur un banc
Couple d'amoureux déambulant librement
Couple d'ornithorynques s'accouplant sous la pluie
Folie des nombres pairs qui me distrait de l'ennui
Négligés les amants du jour étrennent l'asphalte
Tandis qu'attentive se dilate ma tendresse.
•
Quelquefois la complicité
est intense
À tel point que ta présence
Vient se fondre dans mon cœur
Et je t'oublie alors
On oublie si vite le réel…
Je tends à me fasciner
Pour l'image forgée. Et pourtant je sais
Que là naissent prisons et calvaires à l'ombre
De l'oubli de la coïncidence.
•
Penser qu'à la vague je vous
abandonne
J'en ferme les yeux et frissonne
Alors que vous roulez dans l'écume
Lascive friponne
Que le venin du désir
Et son ombre jalouse
M'aiguillonnent.
•
Le charme fou
D'un éclair blond
Pourquoi la foudre alors
Devait-elle s'abattre sur moi ?
•
Je ne garde de vous que le charme
d'une caresse
Endormie aux yeux marbrés
Petite fille que je désirais
Petite fille perdue dans la nuit en liesse.
•
Promenade dans la rue chapeau sur
la tête
Mains dans les poches, prenant son temps paisiblement
Quand tout à coup un passager en sens inverse
Lui adresse un sourire en le saluant
Parfait inconnu que cet individu
Je continue mon chemin sifflotant souriant
À sourire partagé sourire et demi.
•
Tête impassible accoudée au bar
Résonnent au fond de ma mémoire
Les échos rêveurs de la nuit
Lambeaux de mots — gestes et intonations —
Un patineur à roulettes ébranle le champ de vision
Disparaît. Sous le regard la perspective fuit
Imperfection latérale masquée par ces faisceaux
Subtilités de points de vue — sans doute — là
pourtant
Réside l'illusion : j'observe et oublie.
•
S'affûte le sourire
Au coin de l'œil éphémère
Circonstances et apparences
Rien que des semblances
Mais le désir est vrai
Est le désir, oui ?
•
Caresser une idée
Telle une femme
Voici la seule manière
De ne point s'en lasser.
III
Mélodie en creux
Du contrepoint d'une humeur
S'inscrivent en porte-à-faux dans le bruit
Les notes humbles notes de la marche suivante.
•
Proue du navire
Immense à l'abordage
Des régions de l'âme
Sur le fond de l'arène
Se dessine du tableau la carène.
•
Frôler l'extrême limite
de la conscience
Quand au fond du regard les surfaces oscillent
Indifférent l'oubli pèse sur le pieu
Fiché sanguin au creux du cœur.
•
Combien étrange ment opère
la mémoire
A dévider tel écheveau — acrylique et superflu
—
Alors qu'au fond d'un tiroir
Sur un brin de soie afflue l'émotion
Paysage sonore jouxtant un détail de mercure
Là où la raison délibère
L'âme à corps perdu s'engouffre.
•
Sur trois marches à l'angle
Poussiéreux d'un temple
Place de l'Odéon un samedi de dérive
À scruter la progression, lente, de l'ombre
Petit théâtre abandonné
Tout ici inspire le souvenir
Les anciennes étreintes des amants défunts
Rendez-vous des soupirs
Et hop vogue la dérive vers Venise
Au silence mû par un clapotis
Sous le soleil de midi
L'ombre n'est qu'ombre d'elle-même
Par le vent dispersée
Poème à la nonchalance
Pour marquer la pudeur immense
Le seul amant du silence est le rien
Le murmure est déjà trop d'outrage.
•
Une miette de pain au milieu de
la table
Absorbe l'attention du poète : littéralement
Se concentre-t-il faisceaux convergents
Sur une insignifiance et pourtant
Conscience d'une double écorce :
Pas loin d'une circonférence.
•
Morphée me fait des tours
Elle se venge se venge
De mes rêves éveillés
Quand sur le lit croulant je m'effondre
Elle s'approche lascive
Mais me griffe
Et je me tords en tous sens gémis
Alors pointe l'aube horizontale
Je titube
À la recherche de fraîcheur
La peau brûlante moite
Morphée sorcière
Morphée poussière
Un grain de sable
Dans l'œil.
•
Capricieux bouffon qui danse
Algébrique devant mes yeux
Digestion sarabande du rythme
Tandis qu'abondent en mon sens les Muses.
•
Mon vice préféré
— vous allez rire
C'est d'aller sur un pont — n'importe lequel
Et de poser mon front sur un réverbère
De regarder l'eau d'un œil et la lumière de l'autre
Jusqu'au passage de mon ami l'Allumeur.
•
Toujours gardez
Au fond de la désespérance
Un fond d'ennui pour vous lasser
De la souffrance
Et d'un dernier hoquet
Confirmez l'ultime oubli.
|