Les dérives
[tiré de La Tentation du Silence]
Vœux
Saison du cœur je lâchais bride à l'émotion
Le visage allant flatter son encolure
Sur une immense plage filais à toute allure
Enivré à tue-tête de cette sensation
Je perdis sans l'ombre d'un doute les ornements
Tous ces pieux attributs d'une certaine puissance
Pour entamer bientôt une seconde naissance
L'âme en plein cœur frisée par le mouvement
Filant toujours plus vite et plus proche de l'écume
Je me grisais hélas inconscient de l'enclume
Victime et bourreau de mon flamboyant autel
Je courrais vers une condamnation sans appel
N'en avais cure — vraiment — goûtant les seuls
vertiges…
Que l'émotion cesse et l'existence se fige !
Un jour viendra…
Un jour viendra où je serai mort
Accidentel ou volontaire peu importe
Mort serai-je au milieu des larmes
Toute ma vie aurai-je combattu pour la mémoire
Me serai débattu contre l'ignorance et l'oubli
Pour aboutir à un miroir, neutre, vide
De reflet point
Parmi les étoiles à l'ombre de la lune
J'aspirerai une brise plus fraîche
Je serai heureux là-bas soyez-en sûrs
Plus de faux vivants les survivants
Plus de pesanteur la torpeur
Plus de plaisir j'embrasserai l'éternité
M'enivrant de silence
Sur terre les insectes de ramper ne cesseront
Un pas devant l'autre à reculons
Une misère pour un dernier saut Ah !
Une cabriole plongeante j'entamerai
Ivre d'être mort et non plus de mourir !
Constat
Les humeurs mènent la danse
Tandis qu'un épouvantail
En transe
Rit sauvagement.
A l'abandon tourne
Le gouvernail
De nos destinées
Hasard nécessaire
Pour éprouver quelque surprise
S'étonner encore
En voie de disparition
L'or se terre
Après les soupçonneux
Et les dubitatifs
Vient l'ère des incrédules
Pantins aux vents de rumeur
Nulle insouciance
Pas même une vague espérance
Ère de ferraille
Voici venu le temps des vautours
Qui dans les déserts s'entredévorent
Qui dans les cimetières adorent
Une idole aux membres flasques
Cadavre sanguinolent putride
De la dernière ultime
Pas même salvatrice
Vierge.
Tristesse
Tristesse prédominante
Soigneusement cultivée
Entretenue — bijou —
Dans son écrin
Des plus précieuses
Tendrement amadouée
Elle est devenue l'amie
La confidente !
Quelquefois lors des nuits pâles
Et troublées
Surgit une lune voluptueuse
Rousse
Il me semble alors que j'assiste
Au dédoublement
De l'ange qui me veille
J'ai fait de cet écrin mon domaine
Et de son joyau bleu mon destin
Assumant par simple décence
Son pouvoir
Ses conséquences
Son errance !
Métronome
Si foisonnante que soit ta présence
En mon âme
Dans les recoins intime
De ma mémoire
Je ne peux m'empêcher de scruter le miroir
Guettant au creux
Du regard
Des traces
Des lueurs
Si palpitante que soit l'émotion
Autrefois éprouvée
Condamné suis-je à l'attente
Attente de ces moments au Silence consacrés
A l'absolu — complice — sacrifiés
Oui
Seul le désir d'un sourire me gouverne
Tout entier j'aspire ton souffle
Tendu vers la douceur
La tendresse métronome.
État d'âme
La rumeur s'amplifie
Au gré de l'humeur
Bruissement intérieur
Ces voix ces cris ces murmures
Ces échos miroirs de la mémoire
A se prendre les tempes dans un étau
Sortir de la pesanteur
La table rase et l'état de rêverie
Blanche étendue
Une ombre fuse alors
Saisir son empreinte
Sobre l'évidence surgit
Dépouillée de son lustre
A terre les relents d'une nostalgie
Noire et blanche silhouette
Simple si simple si
simplement simple
limpide
Et finalement si in si pide…
Qu'à son prisme on préférera l'oubli.
Chat
Caressez ce gros chat solitaire
Dans le sens du poil, regardez
Ses yeux au fixe mystère
D'un geste anodin faîtes-vous aimer
Celui qui sommeille sur votre chaise
Le confident indifférent prend ses aises
L'âme féline peut-être câline
Végétal selon l'humeur étale
Il vous regarde et vous juge humain
Jauge votre activité sans lendemain
Vous méprise vaguement
Étire ses griffes miaule doucement
Matou au goût d'éternité
Bercé dans les cieux d'une sérénité
Entre vous l'incompatibilité
De cadences distinctes
Chat de gouttière un jour
Trouverez-vous la chaise vide
Il sera parti pour toujours
D'une autre destinée avide
Vous laissera seul désincarné
Vous sentant bafoué trahi
Humain qui croyez aimer
Les chats de vous se rient.
Automne
Et vient l'automne au vent plus frais
La torpeur immobile de l'été se dissout
Symétrique au printemps en cela
Qu'on assiste à une claire renaissance
L'automne est propice aux souvenirs
A tous ces échos amoncelés
Qui reviennent en force nous hanter
Nous prendre à la gorge nous tenir en haleine
Un vent plus frais est venu souffler
Dans les parages de notre domaine
Il bouscule sans façons la chaleur
Nous incite à nous ressaisir
Viendra ensuite le sombre hiver
Et son engourdissement
Pour l'instant c'est la vie
Qui domine dorée parfumée de neuf
Une agonie frissonnante de vie
La sensation d'un nouvel élan
Un ressourcement du désir
Quand la lumière tendre s'en vient
Habiter notre regard
J'aime ces saisons d'entre-deux
Tout en nuances
Et en balbutiements
Complices de nos égarements
Pleines de promesses et de rêves heureux !
Mythologie
L'humeur caracole
Claironne tant qu'elle le peut
Je tangue à l'ombre du désir
Que rien ne peut plus assouvir
Dans une vie antérieure
Amant d'un dieu
Marqué par le sceau
Sacré d'une étreinte
A l'indélébile empreinte
Des deux tempes l'étau
Phæton pantelant
D'un lendemain de chute
Un à un je rassemble les morceaux
Au cœur saignante
La plaie béante stigmate
D'un corps déifié
Que mon souvenir embaume
A force d'aromates
Fuir la roue du quotidien
Pour la cabriole du rêve
Affranchir la routine
En faveur du sublime.
Bulle
de cristal
La femme au cristal
Sur sa sphère se penche
Le regard oxydé dévide
Le gris des mystères
Charmant de sa lyre
Les serpents de l'Éther
Explore le fleuve
Où les désirs s'épanchent
En face palpitante
Une jeune fille est assise
Anxieuse et tremblante
Elle guette cris et soupirs
De la folle voyante
Découvrant son avenir
Aux yeux deux braises ardentes
Que la démence attise
Je vois dit-elle une âme
Perdue qui s'ennuie
Alors qu'au lointain
Une ombre pâle lui sourit
Entre les deux qu'un seul
Geste peut trouer : la nuit
Le cristal s'est éteint
La parole s'est tarie
Me laissant hagard songeur
La tête sur le drap
Seul désemparé : un jour me perdra le rêve.
Urbanité
J'aime la ville
Et l'ambiance qu'elle génère
Son amère solitude
Qu'on ne trouve dans nul désert
J'aime sa nuit sans étoiles
Quand seule la lune daigne paraître
Et sa faune foultitude anonyme
Parfois — souvent — délétère
J'aime la ville et son effusion de désirs
Ses nombreuses tentations son venin de passion
Ses ennuis nonchalants ses échos de soupirs
Ses trottoirs ses réverbères ses semblances de verdure
Certains l'ont dénoncée lieu de perdition
Je leur laisse la campagne en pâture
Et conserve pour mon plat quotidien
La macadam l'asphalte le bitume
J'aime la ville et sa foison de contrastes
Ses assauts de laideur ses beautés fulgurantes
Son continuel et incessant relancement :
La ville est en soi un continent
Reines absolues ces cités qui survivent
Renaissantes sous le regard du témoin
Qui vient les comprendre les éprouver
Pèlerin sacré de la déambulation.
Apparences
Une rue anonyme qu'éclaire un réverbère
Un soupirail anodin où s'exhalent quelques vapeurs
Un soupçon de chaleur au cœur de la matière
De loin en loin retentit le pas du veilleur
Une bouche d'égout sous les feuilles pêle-mêle
Une lisière d'ombre sous le mur d'oubli
Le linceul sombre du lendemain veille muette
Sous les débris une légende en question
Combien de soupirs au carrefour combien de rires
En fumée de tendresse dissolue dans l'asphalte
Entre quatre murs un aveugle tâtonne
Quatre murs et une canne blanche équation d'un instant
Légère la vapeur se dissipe en un éclair âcre
— et gris.
Noblesses
J'ai connu de nombreuses noblesses
Toutes différentes aux douteuses sagesses
Aux saveurs inégales et parfois indigestes
Aux parfums vils mais à l'honneur toujours leste
La noblesse de naissance
En pleine déchéance
Je l'ai vue décrépir pesante
Vulgaire souvent et combien suffisante
La noblesse de cœur
Se désirant compréhensive
Et respectueuse des âmes
N'est qu'un bien commun et fragile leurre
La noblesse de fonction
La plus commune aujourd'hui
N'est que fade illusion
Refuge des estropiés de la personnalité
La noblesse de l'argent
Est la pire de toutes qui sévit
A tous les échelons du mauvais goût
Royaume des parvenus des moribonds
Je connais d'autres noblesses
Plus obscures œuvrant par délicatesse
Celle du digne clochard sur son trottoir
Celle d'un errant de la belle étoile
La plus haute noblesse est celle du poète
Qui de sa vie a entrepris le poème
Qui danse et insouciant se consume
Faisant fi de l'existence pesante
Indifférent même à la plume
Il a souscrit à une vie d'écume
Et maintenant il en assume
Les jouissives conséquences…
Car en guise de fin ne peut-il y avoir
Que l'implosion blanche ou l'explosion
Lardée de lumière : gagné à la contagion
D'un idéal — la beauté — il l'a même
frôlée, un soir !
Entrechat
Une fois sur un socle un bouffon prend la pose
Les passants ce matin le contournent sans le voir
Une aube d'hiver tisse patiemment sa toile
Mort est le souverain sur son trône chancelant
Soudain il dit : passants écoutez un instant
Mes clochettes mes grimaces mon envie de vous plaire
J'incarne le miroir la vérité votre glace
Je suis le dernier détenteur du rire l'ultime
Étincelle insouciante
Les passants ce matin le contournent sans le voir
Une aube d'hiver tisse patiemment sa toile
Mort est le souverain sur son trône chancelant
Il crie : c'est bien rassemblez-vous où est la lune
Prenez garde aux faux baladeuses et souriez
Le spectacle commence froncez vos sourcils toi l'enfant
Tire sur la corde les étoiles fléchiront
Les passants ce matin le contournent sans le voir
Une aube d'hiver tisse patiemment sa toile
Mort est le souverain sur son trône chancelant
Un gosse à sa fenêtre hausse les épaules
Il hurle : écoutez ma tête qui résonne
Ouvrez les yeux détendez-vous amusez-vous
Personne ne vous a dit que le rire était gai
C'est moi le bouffon mes clochettes en témoignent
Faîtes l'amour faîtes la vie vous en serez bénis
Les passants ce matin le contournent sans le voir
Une aube d'hiver tisse patiemment sa toile
Mort est le souverain sur son trône chancelant
Sur un socle une seule fois le bouffon se fit roi
Une statue humide et grotesque au coin d'une ville
Plus de trône le silence plus de rire la froideur
Décidément rien n'échappe à la pesanteur.
Humeurs
Reine des humeurs ce que l'on nomme
me détient seule le privilège
De la permanence telle la première maîtresse
Du sérail mère et fille et femme
On en provient comme on y revient
Nul autre spirituel que le pouvoir
De la contagion qui se propage et ravage
Les différentes facettes à peine étanches
D'un caractère en ébullition
L'âme décline les humeurs
Par infimes nuances
— mélodie ou rengaine —
Ou provoque la fougue soudaine
Par des accès volcaniques
L'âme ne possède pas d'humeur propre
Sa couleur est blanche comme
La bave d'un chien enragé
Un épileptique en pleine crise
Elle dispense un fugace bonheur
Ou la plus obscure terreur
Elle tient les rênes de nos destinées
Laissant à l'amant-raison, le cocu de l'histoire
L'illusion de la binaire volonté
Ses armes sont le désir et la bouffée
De passion fruitée ou amère
La nostalgie et quelque mélancolie
Ou encore le fou rire
Parfois l'âme se révèle dans sa nudité
En mode exclusif et mineur
Son absence d'humeur — coïncidence ?
Génère des sensations de sérénité…
Tentante quand même
L'automne anonyme et ses ombres d'ennui
Pénètrent dans mon cœur sans pitié sans
décence
Derrière la glace le froid et devant ma solitude
Dans ce café sordide je m'agrippe à la feuille
Parcourant la miniature des arabesques
Je ne suis qu'une pauvre caricature de mon idéal
Je me sais transi, toujours les mots, rien que les mots
Oui vraiment j'aimerais être à cent lieux d'ici
Sous le soleil dans la mer je me lèverais
Transfusion d'oxygène, plein air
Pour l'instant je glisse — est-ce que je tombe
Pour seule compagnie la présence de la mort
Qui me ronge, noire, tentatrice à l'extrême.
Mes
rêves
Mes rêves la plupart du temps
Se font l'écho d'un réel vengeur
Qui m'en voudrait de mon indifférence
Et de ses seuils mis en abîme
Qui l'empêchent de me nuire
Sitôt Morphée venue se glissent-ils par la porte
Entrouverte pénètrent mon corps par quelque orifice
Et remplissent leur pénible et nauséabond office
Je me réveille en sueur
En proie à une muette terreur
L'éveil ne parvient plus à extirper l'humeur
Acre ou acide ou amère
J'ai beau secouer la tête
Ce sont les viscères de l'âme
Qui tiennent les ficelles
Je sombre tout au long d'un jour
L'esprit vide la langue sèche
Éteints les yeux.
Le
nénuphar
Le cœur palpite sous les côtes
Afflux de sang
Les veines qui frémissent
Un nénuphar s'accroît dans l'ombre
Une autre fois l'amour étale
Insouciant amorçait sa dérive
Calme plat loin des esquifs et des écueils
Bruissement de la page qui tourne, un recueil
Maintenant les pages se fanent
Abcès noirâtre le long d'un pétale
Lente agonie de ces jungles d'antan
Au creux des vaisseaux un nénuphar s'impose
La matière dans un crépitement se dissout
Plus rien que les miettes et des cendres
Point de feu d'orgie du spectacle
Émotion qui là-bas se consume
Lettres qui se tordent mots se convulsent
En un cri égaré sous les voûtes chaotiques
Une pesante mémoire appareille — petit matin —
Répit avant l'ultime excès de fièvre
Une feuille s'agite désœuvrée
Digère à grand peine les résidus de clarté
Nénuphar tu débordes la langue à peine te couvre
Bientôt au grand jour ta consécration et ta fin
Dans mes mains offertes
Expire en un souffle aussitôt mis sous verre
Un ange aux lèvres séchées
Au bout des doigts nénuphar tu me lacères
Croyant me gagner par contagion
O suprême dérision
Je sombre avec toi, ici même.
Ivresse
Qu'on ne vienne pas me dire
Qu'ici ou là réside l'émotion
Trop tard est-il, trop tard
Curieux étais-je prêt à l'aventure
Peut-être cherchais-je une issue
Ne l'ai pas eue et m'en retourne
Seul amer pas même acide
En vaut-Elle la peine, vraiment ?
J'ai vue la vie l'ai savourée du regard
Violée d'une pupille écartelée
Suis quand même parti hagard
Par trop de décalage
La nuit morphine viendra conclure le ballet
Achever de m'exclure
Le diapason dans l'à-côté
Mélodieuse comme une langue
Morte
Silhouette au trop plein de brasier
Vers le sommet goûtons-nous
l'extase des ombres
Ondulations d'une haleine
— ce n'est que la coutumière, la cigarette —
Et la plume et la plume au désert de croix !
Cimetière…
Mélodie
Pénètre dans la sombre chambre
Mélodie viens toucher de ton front
Mes paumes jointes pour l'occasion
Aux doigts qui se tendent puis se cambrent
Épouse de ta peau ma plainte
D'une tempe à l'autre tu tisses ta toile
Ondule sous mes paupières au voile
Amer qui assèche la langue
Viens masser ma nuque et endormir
La douleur réveille mes sens
Avive les sensations que mon cœur
Vibre et se tende vers ta lueur
Viens mélodie et mène la danse
Atténue l'ombre d'une souffrance
Tresse tes pudiques caresses
A l'ombre de mon ivresse.
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