FRACTEUS matrice d'1 identité chaotique quantique / réflexion instable déformée évolutive aléatoire du je en mots / perceptions… MATRICE code source à multiples variables / dimensions connues et inconnues / coefficients espace temps indéterminés / ensemble apparemment ordonné / interface / témoignage… THEO BLAST sujet / terrain / 2 la matrice / je / est 1 / infinité (d') autre(s) / provisoirement définitif & définitivement provisoire…

 


"Pour ceux dont l'Étoile est assez forte,
Il n'est rien qui ne se puisse dominer !"
Sa-Carneiro, 4e Chanson du Déclin


À ta présence est attachée une magie particulière. Celle-ci s'exprime tout d'abord par le sentiment d'étrangeté que quiconque éprouve à ton contact, la première fois. Je me souviens des longues ballades que nous faisions à Paris, allant à l'aventure, insouciants, profitant de ce temps que nous consacrions l'un à l'autre, et je me rappelle le regard étonné que te lançaient les passants que nous croisions. Non pas désir, ni concupiscence, ni jalousie, non, une simple lueur devant l'inconnu. Comme si tu n'appartenais pas à ce monde, comme si ta simple démarche forçait le respect.

Il faut dire que celle-ci était en elle-même caractéristique. De grands pas, les mains croisées sur le ventre, le regard baissé et la tête haute pourtant, tu faisais figure d'ange dans ces rues, ta beauté engendrait une sensation d'altérité que seule la parole pouvait rompre, et encore.

Je ne me suis jamais autant senti dans ton intimité qu'au grand air, quand nous longions le jardin du Luxembourg le soir, ou quand nous nous perdions dans le dédale des ruelles du Quartier latin ou des Halles. J'y étais plongé instinctivement, et son exclusivité m'emplissait de joie et de fierté.

Indubitablement, ton magnétisme irradiait ses effluves à un degré jamais encore atteint d'intensité. Selon les instants nous l'exprimions par la complicité, un fluide, l'émotion, une forme de télépathie qui nous rapprochait quand une distance matérielle surgissait, qui comblait l'éloignement, ou une sorte de lien interne qui opérait une fusion de nos âmes quand nous étions en contact.

Au fil des années ce magnétisme est resté intact, originel, prouvant par là même qu'il s'agissait d'un trait propre à ta personnalité, inamovible dans sa permanence.

Il n'en est pas de même pour la plupart de nos proches où un magnétisme se ressent de prime abord, puis se dissout, s'évapore inexorablement au fur et à mesure que nous faisons connaissance et nous lions. La magie qui nous a rapproché initialement n'est plus que parfum diffus, et se réduit en dernière instance à sa nostalgie ou à son désir.

Or, en ta compagnie, cette magie a toujours été source d'émotion, vécue au présent, éprouvée en tant que présence réelle. Il n'est pas nécessaire de revenir en arrière ou de se projeter par le désir dans les mirages de l'avenir, non, l'instant présent nous suffit de par son intensité, en tant que consistance plénière.

Cette magie a ceci de fabuleux qu'elle regroupe deux facettes généralement dissociées. Ainsi, d'une part, ton rapport avec le monde et ces autres que nous sommes inévitablement appelés à côtoyer, un rapport d'étrangeté et de dépassement, où tu te détaches de par ton unicité et ton exemplarité, et, d'autre part, un magnétisme interne qui t'éclaire, qui te transfigure, irradiant au rythme de ton sang, continuel surpassement.

D'où la porte ouverte à une dimension autre, la clé d'un passage secret ignoré de tous où tu invites tes initiés, où tu leur révèles une aptitude à un oxygène plus pur, flamboyant et pourtant dénué d'artifices. De par cette illumination — qui est révélation et jouissance —, il m'est impossible de revenir en arrière et de refermer de ma propre initiative cette porte qui est ouverture. Plutôt la mort et son masque de glace.

Je me suis longtemps demandé si ce magnétisme n'était pas simplement dû à ta beauté, à ton charme. Je me suis longtemps posé la question de savoir jusqu'à quel point j'étais ébloui et attiré vers toi naturellement, et puis mystérieusement. Je t'avouerais, je n'ai aucun élément de réponse décisif, je n'ai bâti en la matière que des hypothèses. Mais celles-ci, découlant d'un état de fait, m'ont toutes conduit au même seuil : à savoir la certitude qu'en toi existait un fluide que je ne trouvais nulle part ailleurs, un souffle que je ressentais quel que soit le contexte, l'époque, les gens autour.

Oh bien sûr, il fut certains moments où j'essayais de me débarrasser de cette attirance. Je me disais (c'était lors des balbutiements) qu'il n'était pas très sain de vivre ainsi hanté par une seule et même présence, de se focaliser exclusivement sur un être. J'étais orgueilleux, fier, je ne voulais être dépendant de personne, les amitiés et les amours, je les maîtrisais, j'agissais en connaissance de cause et n'aurais laissé à personne le droit de me dicter ma conduite. Je me flattais d'être indépendant, autonome, de pouvoir pour ainsi dire vivre en autarcie, affectivement cela s'entend.

Un seul ami avait enfreint cette règle, cela avait été une amitié typiquement et délicieusement adolescente, platonique, absolue. Bien vite je m'en rendis compte, et je larguais les amarres, je refusais de me laisser emprisonner dans une image oh combien cloisonnante, dont les horizons étaient si vite atteints.

Et puis tu es arrivée, nos chemins se sont croisés, nos destinées se sont rencontrées et se sont données la main pour poursuivre leurs itinéraires parallèles, tout en bâtissant leur propre temple indissoluble.

J'ai été charmé, au sens fort du mot. Bien vite je me suis aperçu que les instants de bonheur étaient peu nombreux, en nombre infime, et que le reste du temps régnait l'absence, une effroyable sensation de vide, contre laquelle je ne pouvais rien tenter. C'est à ce moment-là que j'ai essayé de me "libérer". Je ne t'ai plus vue tout d'abord : les jours s'écoulèrent et chacun devint un supplice, d'autant plus que le temps ralentissait son cours. Puis j'essayais de voir d'autres personnes, de m'évader dans des fêtes étourdissantes ou dans des actions extrêmes : rien n'y fit, tout me ramenait à toi. Alors seulement je compris que si je voulais survivre, il fallait que je change d'optique. Il fallait que je concentre mon attention sur les étincelles, et que je cesse de respirer l'âcre obscurité du vide.

Ainsi le charme put produire son effet sans que j'en souffre d'une façon trop aiguë, la beauté qu'il engendrait me procurant plus qu'il ne me fallait de jouissance pour endurer les peines, les absences et la souffrance. Par beauté, j'entends bien sûr l'émotion. Celle-ci a été un mot d'ordre de ma vie, la formule magique qui résumerait mon existence. Depuis ma seconde naissance, c'est-à-dire depuis l'éveil de ma conscience, l'émotion et l'état d'émotion ont été une quête sans relâche. Que ce soient les lieux que je fréquentais, les durées que je vivais, les personnes que je côtoyais, j'agissais toujours en fonction d'une jouissance potentielle. Quiconque m'ennuyait me décevait ; je m'en voulais d'ailleurs à moi-même, de n'avoir pas su déclencher le suprême déclic, l'instant propice où jaillirait l'étincelle. Alors je me détournais, fuyais insensiblement.

Je compris d'autre part, grâce à toi, que mes conceptions sur l'amitié, sur l'amour, sur le lien affectif, étaient erronées, non viables. L'amour ce n'était pas cela, il m'était impossible d'aimer sans m'investir dans cet amour. Ainsi le sentiment, loin d'être une chaîne, est un fortifiant. Quiconque éprouve une sensation d'emprisonnement n'aime pas assez, ou plutôt, n'aime pas vraiment. Et qui n'aime pas vraiment n'aime pas du tout.

Je compris cela, et pourtant je n'en étais pas pleinement heureux. En effet je commençais à m'apercevoir de la réciprocité qu'implique le lien affectif. Et je la souhaitais, tout en redoutant son absence.

Pendant très longtemps, plusieurs années sans doute, j'eus la sensation que l'amour que je te portais était plus intense que celui que tu me prodiguais. Ainsi volontairement je mis un frein à mes témoignages, mes transports de tendresse ou de douceur, de peur de t'effrayer. D'autant plus que mes tendances à l'absolu pouvaient paraître trop extrêmes.

Je me connaissais suffisamment pour savoir que les autres ne me comprendraient pas et commenceraient à persifler. Alors je leur dissimulais l'intensité de ce que je ressentais, quitte à te la masquer à toi aussi, apparemment. Cependant la correspondance que nous échangions déjà me permettait de révéler le véritable état de fait.

Ainsi dura l'époque des hauts et bas de vagues, ivresse des crêtes, angoisse de l'obscurité. Ainsi vogua notre esquif patiemment ajoutant une pièce à une autre, en dépit des aléas du quotidien, vivant de son souffle, respiration interne.

À un moment j'avais la certitude de la réciprocité, et j'étais infiniment heureux, aérien ; à d'autres moments (lors des absences en fait) je sombrais dans le doute et, ma paranoïa aidant, j'échafaudais des hypothèses désespérées… Heureusement ce temps est révolu, depuis peu il est vrai. Car réciprocité il y a sans aucun doute possible. Là où je me trompais, c'est encore et toujours dans une question de perspective, d'optique.

Je me figurais deux êtres initiaux qui se rencontraient. Qui commençaient à s'aimer. Au fur et à mesure que leurs individualités apprenaient à se connaître, que leurs personnalités se joignaient pour plus de compréhension, leurs spécificités semblaient s'évanouir. Là gisait mon erreur.

C'est de confondre l'amour avec ses expressions. Habitué que j'étais à ma manière d'aimer, à mes passages obligés par les mots, par les démonstrations de tendresse, par les incessants besoins de présence, de rassurement, par les désirs de témoignage, je ne me rendais pas compte, tellement proche je me sentais de toi, que tu pouvais m'aimer d'une façon différente. Et alors je crus certaines fois que tu ne m'aimais pas ou plus, parce que tout simplement je n'étais pas capable de discerner les formes que tu empruntais.

À cette époque, je désirais que tu m'écrives aussi souvent que je le faisais, je désirais que tu me prodigues les mêmes tendresses que celles que je te donnais. Il est certain que les manières d'aimer ne sont pas inamovibles, elles sont changeantes et susceptibles d'être modifiées. Heureusement. Ainsi, l'amour est un voile souple de tulle qui dans sa légèreté épouse la forme de l'autre.

Ainsi m'as-tu appris la pudeur, ainsi t'ai-je appris l'expression au sein de la pudeur. Ce qui est beau dans ceci, c'est l'aptitude à ainsi modeler l'autre sans pour autant l'enfermer dans une chape de marbre, c'est la capacité à aller vers l'autre tout en restant soi-même.

Je ne m'en suis rendu compte que par petits bouts, alors ai-je compris l'infinie complexité du rapport à l'autre, son infinie fragilité ainsi que son potentiel de richesses infinies.

Cependant la prise de conscience ne suffit pas, tant le corps et l'âme sont habitués à agir en fonction d'un monde profondément imprimé en eux. L'esprit peut bien décider quelque chose, cela ne sera adopté et vécu que progressivement. Ainsi s'établit une étape de transition.

C'est seulement aujourd'hui, depuis quelques mois, que je vis pleinement rassuré.

Cette sorte de beau fixe ne veut pas dire immobilité, inertie. Il ne veut pas dire que la construction est achevée. Au contraire. Il signifie que les bases sont enfin arrimées, voilà tout.

Il signifie que le fluide du départ, ce magnétisme, ne s'est pas évaporé, au contraire a pris une consistance continuellement réaffirmée, et s'exprime désormais en termes d'atmosphère. Oui, une véritable atmosphère, ce mot qui implique la fusion de la réalité externe dans la vérité du réel interne. C'est ici, et seulement ici, que le magnétisme se révèle autre qu'illusion, qu'il prend sa forme plénière.

Cette atmosphère que je respire sans limites, que j'aspire pour la répandre ensuite en une couche de bleu sur la grisaille du reste… Cette atmosphère que je respire et à laquelle je ne cesse d'aspirer, dont je me délecte et que je savoure, cette atmosphère qui donne consistance à mon âme, à tel point qu'elle irradie à son tour sa chaleur…
De même le tison de cuivre chauffé à blanc rougeoie dans la nuit, phare d'Espoir. Et le pauvre Errant transi par le froid d'hiver approche doucement ses mains, sent la chaleur se répandre au creux de ses paumes, les veines bleuir et le sang palpiter.

Ce magnétisme, terre fertile de l'Émotion.

Je salue la magie de ton être, Stella.


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