La seule chose que j'aie à faire, c'est me souvenir. Ils
réécriront derrière si besoin est, m'ont-ils
dit en posant le magnétophone et deux cassettes de 90 minutes
devant moi. Ils sont persuadés que je vais me débrouiller
comme un chef. De toute façon, il ne faut pas que je m'inquiète,
ils ont l'éditeur dans leur poche, ils sont actionnaires
majoritaires. Un coup de fil à tel membre du conseil d'administration,
et les comités de lecture seront court-circuités,
la décision de publier sera prise au plus haut niveau. C'est
toujours comme ça.
"Je suis exemplaire", voilà ce qu'ils me répètent
à longueur de journée. "Il faut que je raconte
mon histoire". Pour faire bien, ils garderont tout, même
ce qui pourrait être mal interprété, ou ce qui
pourrait leur déplaire. Pour rendre mon cas plus crédible,
disent-ils. De toute façon ils en sortiront renforcés.
"Tu verras, Amédée, ce sera un succès,
on en parlera partout, l'éditeur mettra le paquet et tu auras
ton attaché de presse rien que pour toi, peut-être
même qu'on pourra te négocier un prix…"
Moi je ne sais pas. Mon histoire ne m'a pas l'air très intéressante,
et puis quelle histoire en fait, mais bon, c'est le cahier des charges
qu'ils m'ont fixé. Une preuve de ma bonne foi, une petite
tranche de ma vie. Quelque chose de léger, hein, pas plus
de 160 pages, un bon multiple, histoire de toucher le plus grand
monde en faisant directement du poche. Il faut que je me souvienne
maintenant, comment tout cela a commencé, comment j'en suis
arrivé là, au seuil d'une nouvelle existence. Il y
a un an déjà…