Alors
que la lumière s’éteint, il se détourne
de la fenêtre. Il n’a eu que le temps d’apercevoir
une silhouette fusant à travers les rideaux, mais cela lui
a suffi. Il allume une dernière cigarette en augmentant le
volume du poste, le regard un peu vague, entendant les sons mais
n’écoutant pas les notes. Il baille, allume la lumière,
prend un livre posé sur la table et commence à lire.
Demain ce sera le grand jour, pense-t-il. Je l’aborderai dans
la rue, devant la pâtisserie, et je lui avouerai tout. Comme
cela je n’aurai plus à m’enfuir, à me
cacher… les choses seront ainsi forcées d’évoluer…
j’en serai au moins quitte avec ma conscience…
Les lignes tremblent légèrement devant ses yeux. Il
a beau les frotter, les lettres se disjoignent, s’écartent
les unes des autres dans des directions contraires, pour brusquement
rejoindre leur cohorte, leur traîne. Comme s’il ne s’était
rien passé.
Il referme le livre, règle le réveil. Il peut voir,
de son lit, en biais, la fenêtre en face, trou noir et luisant
dans la nuit. Puis il éteint, écrase le mégot,
ferme les yeux.
Demain je lui dirai… Ses propres paroles, pensées,
s’affaiblissent inexorablement, et il ne peut rien faire pour
contrer l’engourdissement. Les chiffres digitaux indiquent
23h32. Il dort.
La nuit s’étend omniprésente, opacifie les réverbères,
couvre les rares noctambules d’un voile vaporeux. Une nuit
comme les autres que ponctuent les respirations des dormeurs et
les souffles éméchés des bistrots. Des taches
de lumière dans l’obscurité, lieux où
le temps ne fait que passer, sans s’attarder autrement. Aux
miaulements se succèdent les cris matinaux des boutiquiers,
se hélant amicalement au détour du vrombissement des
ordures qu’on enlève. Un peu plus en hauteur une armée
lutte contre le jour, contre le réveil, à coups de
gémissements, de froncements de sourcils, de renfoncements
dans les draps.