La soirée s’annonce
longue. Près d’un feu crépitant, ils sont chacun
enfoncés dans de larges fauteuils, les yeux mi-clos, agréablement
bercés par le mouvement des flammes et la chaleur des braises.
Dehors le vent a cessé de gémir, dedans ne règnent
que confort et simplicité.
Tout à coup Alix prend la parole et murmure :
– Combien de temps croyez-vous que cela durera ?
Il se redresse, éberlué, angoissé, terrifié…
– Mais je ne sais pas… Je ne peux pas savoir…
pourquoi cette question, à quoi bon ?
– Non, rien, je pensais, c’est tout. Je me demande si
ce que nous vivons possède une fin, quelle sera-t-elle, si
l’un d’entre nous tombera, raclera le sol ; je me demande
si la fin de notre relation ne signifiera pas la mort de l’un
d’entre nous…
– Je préfère ne pas y penser…
– Vous devriez, on ne sait jamais. Je sais, ce genre de conversation
est on ne peut plus désagréable, mais je ne peux m’empêcher,
cette lucidité, vous comprenez…
– J’avoue ne pas très bien…
– Peut-être que la fin ne sera qu’une mort éphémère.
Si notre relation s’éteint, il est probable que nous
mourrons tous les deux… d’une certaine manière.
Une mort affective, pas forcément physique ou biologique.
Nous serons morts l’un pour l’autre, mais le tout est
que cela doit être réciproque, pour éviter de
souffrir.
– Oui, la réciprocité, des deux côtés
de l’espoir…
– Ce que je veux à tout prix, c’est éviter
de souffrir… et éviter que les autres souffrent à
cause de moi… car cela me torturerait. Ce que je crains le
plus au monde, c’est ce type de souffrance qui, à la
différence physique, qui quant à elle laisse exposées
ses limites, cette souffrance affective dont on n’est jamais
sûr, jamais assumée jusqu’au bout, cette souffrance
qui ne peut être abolie mais seulement estompée, effacée,
par le temps, par l’oubli… C’est là que
l’on atteint l’intolérable, que l’on s’engouffre
sous le pont de la folie, sans garantie d’en jamais ressortir.
Le pont de la folie… Il a le sentiment confus de décrocher,
volontairement ou non, il entend les mots, il n’arrive pas
à comprendre leur signification, il ne veut pas comprendre.
– Si notre relation meurt, je dis bien si, j’espère
que ce sera comme une fleur. Celle-ci se fanera, ses pétales
décrépiront, se terniront, iront voler sur le sol,
inanimées. Plus tard d’autres pétales prendront
la relève, une autre fleur s’épanouira, elle
ne sera pas moins belle que l’autre, pas plus non plus…
différente, c’est tout, exhalant un autre parfum, apportant
sa propre touche de couleur dans le paysage.
Alix parle à voix basse, en un lent murmure, son regard dérive
de l’âtre aux bibelots, du tapis aux vitres. Elle se
parle à elle-même, il semble, songeuse perdue dans
ses projections, explorant sans relâche les méandres
des possibles, les fils directeurs de sa lucidité ; elle
s’y perd, puis retrouve un semblant de chemin et repart…