Précis de lucidité ou bréviaire
à l'usage des vivants
Avant-propos
Il est foncièrement paradoxal de vouloir écrire les
lignes qui vont suivre. Si l'on va jusqu'au bout et que l'on prend
la peine de revenir à cet avant-propos, il est non seulement
paradoxal mais presque prétentieux que de croire à
une quelconque utilité du message délivré ici.
Il n'y a pas de message, seulement des évidences, des mises
à plat. Et le paradoxe est compris dans le dessin que j'essaie
de tracer, justement. C'est une occupation du temps que d'avoir
voulu écrire ces lignes, et si j'espère qu'une jeune
fille de 16 ans y trouvera matière à s'épanouir,
je m'adresse aussi bien au vieux sage de la montagne qu'à
l'anonyme de la rue d'à-côté. Les lignes qui
vont suivre ne s'adressent donc à personne en particulier,
et donc à tout le monde. Elles ne visent aucun public, et
donc peuvent concerner chacun. Et réciproquement. Avant tout,
évidemment, elles s'adressent à moi-même.
Si j'ai désiré le sous-titrer Précis de
lucidité, c'est tout simplement que je me suis attaché
à la concision, persuadé que les mots sont à
utiliser avec parcimonie pour éviter les écueils.
La sobriété et la simplicité contre des mots
aux sens trop multiples. La lucidité, c'est tout simplement
considérer les choses, les hommes, le monde et les mots en
face, aussi "en face" que possible, d'être dans
le vrai. Même si ce n'est pas forcément réel.
Une question de mots, encore une fois. Car la force du réel
peut par contrecoup devenir vrai. Et ce vrai n'est que "mon"
vrai, je n'y attache aucune valeur particulière.
Aussi dans une première partie j'essaie de tracer les grandes
lignes de ce qui est vrai (ce qui est vrai selon
moi, ceci n'engageant que moi, à ne considérer que
comme une hypothèse parmi de nombreuses autres), puis dans
une seconde partie, décrire les mécanismes du réel,
qui comme on le verra sont avant tout des échappatoires au
vrai. Dans une première partie, les axiomes, théorèmes,
postulats, règles, dans une seconde partie les relations,
interdépendances, jeux, mécanismes et rouages humains.
J'aimerai ajouter seulement ceci : je pense ce que j'ai écrit
et je continue doublement à vivre. Je suis conscient que
tout en moi ne s'occupe qu'à une seule chose fondamentale,
passer le temps, et justement cela me permet d'entretenir une grande
curiosité devant le miracle du monde humain. Loin de me désespérer,
cette apparente contradiction est source suprême de divertissement,
et de gaieté. Tout est affaire de réconciliation,
que l'esprit serve l'épanouissement du corps comme le corps
irradie l'esprit, les deux étant bien entendu une seule et
même matière, un seul et unique enjeu : l'accomplissement
de soi-même.
En marge :
• Je veux rester humble. Attention à l'orgueil d'être
humble. J'ai conscience d'être sage à ma manière,
mais je suis trop attaché au regard des autres encore, gamin
: cela fausse la perspective. Hypothèse romanesque du vieil
homme à l'aube de sa vie qui envoie cet ouvrage. Nouvelle
de Yourcenar. Ou bien double hypothèse de l'adolescent rageur
qui prend l'opposé, la vindicte, cette dualité pouvant
s'exprimer par deux discours, deux genres différents…
Duo, l'un va avec l'autre, inextricablement. Celui qui préfère
l'un des deux se trompe. Ainsi le chaos est fait système
encore une fois. La vérité se fait voir par deux voix.
• "voir de face" : mauvaise expression, la vérité
peut être douloureuse voire insoutenable.
• Jj'ai écrit ce précis pour passer le temps,
pour lutter contre l'ennui. "Il fallait bien que je m'occupe".
• L'ado : et évidemment je voudrai que cela devienne
un bréviaire lu à des millions d'exemplaires, que
l'on me respecte, que l'on m'admire, ou que l'on m'exècre,
que ce livre devienne un phénomène de société
résistant aux modes, qu'il soit traduit dans toutes les langues,
que l'on donne aux lycéens des fragments à commenter
au Baccalauréat, que les rats de bibliothèques s'échinent
en thèses parasites sur cet ouvrage, que ce livre soit solaire,
radieux, cosmique, infini, antidaté. Qu'il révolutionne
la vie de chacun.
• Le vieil homme : ce sont des fragments, devant l'obsession
de la mort et de l'ennui, d'humbles petits fragments. Si je me suis
adressé à un éditeur c'est pour m'en débarrasser,
cela aurait pu tout aussi bien rester dans un tiroir (à l'heure
où j'écris ces lignes c'est même probable).
Toutes ces lignes ne sont qu'évidence, je suis un parmi des
centaines de milliers…
• Bréviaire à l'usage des vivants ou bible du
lycéen à lire absolument entre la Première
et la Terminale avant d'aborder la philosophie. Le manuel des jeunes
gens ayant envie de vivre
• Ne jamais oublier que la lucidité est une utopie
: d'où la nécessité de rester humble. La lucidité
procède du langage. Et le langage n'est que les mots, rien
que des mots.
• Cet ouvrage n'est pas la compilation d'œuvres antérieures,
de citations. Il se veut nu, instinctif, délibérément
instinctif.
• Trop d'esprit tue le corps. L'enjeu se trouve là,
dans la réconciliation du corps et de l'esprit, qu'ils marchent
de concert. Harmonie. De toutes façons, je doute fort que
l'esprit et le corps aient jamais été dissociés.
L'esprit procède du corps comme le corps doit procéder
de l'esprit.