Un grand mot, un gros mot, qui permet à l'homme de s'imaginer
un au-dessus. Un mot qui rime étrangement avec mystère,
dieu, etc. Tous les dieux du monde ne sont que des projections poétiques
de notre insatisfaction et de notre orgueil. Plus le dieu est puissant
et grand et plus je participe de sa puissance et de sa grandeur.
De même, parallèlement, la transcendance est une excuse
suprême servant à justifier nos faiblesses ou nos impuissances.
C'est une excuse, une justification, une sécurisation, un
refuge, en cela elle est utile.
Ce qui est présenté comme dépassant l'homme
est suspect. Selon quels critères? De quel droit sommes-nous
dépassés par quoi que ce soit ? Nous ne sommes dépassés
par rien comme nous sommes dépassés par tout, par
la pierre qui a des millénaires de plus que nous, par l'eau
que nous buvons, etc.
La transcendance n'est que l'idée d'un ordre établi,
qui nous échappe, contre lequel on ne peut donc rien faire.
La tentation de tout système est d'intégrer les autres
systèmes, de tout intégrer. Aucun système ne
prônerait une hypothèse contradictoire qui puisse cohabiter
avec lui. Et pourtant c'est ce qui se passe tous les jours dans
notre vie. La transcendance, parce qu'elle nous échappe,
tiendrait du mystère. Or le mystère en tant qu'explication
suffisante n'est qu'un ersatz de système logique, d'ordre,
et fait partie de cet ordre.
Il n'y a aucun dieu qui tienne, aucune transcendance. Dieu existe
comme il n'existe pas. Chacun de nous le fait exister à sa
manière, et plus on y croit, plus son existence est réelle.
Elle n'est pas vraie, mais elle est réelle, ce n'est qu'un
reflet dans notre miroir, reflet touchant d'ailleurs, reflet quand
même. Certains préfèreront continuer à
croire parce que cela leur apporte réconfort voire confort
: tant mieux pour eux. Auto-persuasion, plus ou moins nécessaire,
au même titre que d'autres et non moins compréhensible,
non moins louable. D'autres préféreront se dire dieux
eux-mêmes, s'ils y croient ils auront raison. C'est une question
d'optique. D'autres s'en tiendront à la solitude de l'homme,
de soi-même, et transfèreront leurs illusions sur autre
chose. Ce n'est qu'affaire d'acceptation, assumer, et l'on s'en
porte très bien.
La métaphysique se ramène en fait à l'éthique,
c'est ce qui compte puisque ainsi l'on peut bâtir son système
de références. Attention, une éthique qui serait
purement personnelle, nullement imposable à autrui sauf si
autrui vous le demande et a le choix de l'appliquer ou pas, de la
faire sienne ou pas.
Il existe des transcendances de tous types, qui varient selon les
âges : dieux, bien entendu, mais aussi nature, sciences, bien,
beau, collectivité (du style : inconscient collectif)…
Toutes ne sont qu'une différence de mots qui ont le même
sens, celui qui remplit la même fonction : expliquer quand
on ne peut pas expliquer, quand on ne peut pas se satisfaire de
l'explication première en fait, ou et se rassurer, se consoler.
En marge :
• Attention aux justifications des intolérances de
cette façon : on doit pouvoir continuer à avoir le
choix, c'est-à-dire que chacun doit pouvoir continuer à
s'auto-persuader de la façon qui lui convient, et personne
ne doit aller jusqu'à convaincre l'autre, et même le
forcer à adopter une illusion qui n'est pas celle qu'il a
choisi.
• Il y a une infinité de possibilités, de virtuels,
le réel peut être considéré comme une
dictature si on s'y prend sans recul.
• On pourrait parler pendant trente ou trois cents pages de
la question de la transcendance. Ce n'est pas l'objet de cet ouvrage,
qui ne fait qu'enfoncer des portes ouvertes, mais qui ne va pas
— pas le temps, ni la pertinence, commencer à s'acharner
sur les portes.