Son visage était
émacié, ses cheveux gris témoignaient d'un
vieillissement prématuré. Remontés haut sur
le crâne et plaqués en arrière, coupés
régulièrement à mi-nuque, ils découvraient
un front singulièrement lisse. Ainsi le rajeunissait-on sitôt
s'attardait-on un peu à le dévisager. A vrai dire
était-il pourtant sans âge. Ses yeux, gris bleu, s'enfonçaient
résolument dans leur orbite, et la plupart du temps se maintenaient
à peine entrouverts, ce qui faisait que, selon l'angle de
vision d'un spectateur, on pouvait croire qu'il sommeillait. Sa
maigreur n'allait pas cependant sans une robuste constitution, des
épaules larges renforcées habituellement d'ailleurs
par des vestes taillées à l'américaine, amples
et sombres. De toile l'été, volontiers de tweed l'hiver.
Ses mains avaient été à une certaine époque
sa fierté : longues, effilées, des mains de pianiste
aimaient à dire ses conquêtes du moment sans s'être
concertées et pourtant. Les ongles impecca-blement taillés,
des lunes tranchantes, des jointures aussi fines que nerveuses.
Des veines les parcouraient saillantes, bleutées, conférant
au tout une impression de puissance. Pourtant maintenant portait-il
la plupart du temps des gants, pour les cacher à sa vue.
En effet s'étaient-elles, parallèlement aux cheveux,
vieillies elles aussi, ridées, fripées. Indice de
quelque laideur ou vice internes, à la Dorian Gray ? Il ne
comprenait pas en quoi. Mais les mains exposaient leur infirmité
chaque jour le dégoûtant un peu plus — oui, des
mains de vieux, vraiment —, ce pourquoi il avait opté
pour des gants, malgré l'inconfort, et le désagrément
de ne pouvoir caresser un objet et de disposer ainsi d'un contact
immédiat. Il suivait la progression des rides, fines aux
alentours des yeux, presque perceptibles sur le front, de plus en
plus accentuées au détour des lèvres, ces rides
qui marquent en pesanteur le visage, pour qui ne sourit plus qu'à
peine, et encore, sous la grimace de l'effort.
Son aspect n'était donc plus très engageant, même
si on se rendait compte qu'il avait sans doute été
beau, mais c'était une beauté qui avec l'âge
s'était mué en physique frappant, au charme persistant
certes, mais aidé de l'éclairage. Il n'aimait plus
ses traits, pas assez lisses selon lui, c'est-à-dire inaptes
à une fluidité totale, car inaperçu voulait-il
passer.
Du moins ses yeux s'ouvraient-ils plus avec l'âge, mais leur
mobilité s'affaiblissait, de même que le désir,
ainsi prenaient-ils quelquefois, de plus en plus souvent, une attitude
fixe. Le regard, butinant naguère à droite et à
gauche, s'arrêtant sur tel ou tel détail, rentrait
de même à l'intérieur, se perdait dans le vague.
L'intransitivité semblait acquérir du terrain. L'intransitivité,
radicale car irréversible.
La glace s'embua soudain, il dut mettre un terme à son inspection.